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USAGE PUBLIC DES PLANS D'EAU URBAINS : UN CAS À QUÉBEC

PAR LÉONCE NAUD, GÉOGRAPHE

MÉMOIRE DÉPOSÉ À LA COMMISSION SUR LA GESTION DE L'EAU AU QUÉBEC (BAPE) QUÉBEC, NOVEMBRE 1999

"Il est bien connu que si vous n'êtes pas vous-même une embarcation, vous aurez des problèmes à accéder aux plans d'eau du Québec. Depuis une génération, des centaines de millions de dollars en fonds publics ont servi à faciliter la délicate mise à l'eau et le remisage dans des parkings liquides de yachts de plusieurs tonnes, tandis qu'il existe fort peu d'endroits où une jeune mère peut faire tremper son rejeton dans l'eau, même s'il a chaud, ne pèse que quelques kilogrammes et reste facile à manier."

UN SYSTÈME DE VALEURS INQUALIFIABLE

En se promenant durant l'été - comme des centaines de milliers de personnes - sur les quais qui bordent le bassin Louise, au centre-ville de Québec, on peut se poser la question suivante : si l'eau est bel et bien de bonne qualité pour la baignade - et tous les test sont positifs - comment se fait-il qu'il soit possible d'y faire flotter sans problème des centaines de bateaux de plaisance, mais qu'il est absolument illégal et interdit d'y faire tremper, même pour un instant et par une chaleur épouvantable, ne serait-ce que le pied d'un enfant ? Si l'on essaie de découvrir les ressorts lointains et profonds d'un système de valeurs à ce point inqualifiable, on découvre un monde.

ACCAPAREMENT PRIVÉ D'UN PATRIMOINE LIQUIDE COLLECTIF

Durant les deux cents premières années de son existence (1608 - 1808), Québec a été une ville balnéaire de facto, les rivages urbains du quartier historique ayant été conservés pour l'usage général par l'Ordonnance de la Marine promulguée à Paris en août 1681, sous Louis XIV, par Jean-Baptiste Colbert. La défaite de la France en Amérique signifia le début de l'élimination graduelle des usages libres et gratuits des rivages de la ville de Québec. De 1775 à 1830, tous les accès publics aux grèves, soit du fleuve Saint-Laurent soit de la rivière Saint-Charles, furent supprimés les uns après les autres par les milieux d'affaires maritimes et portuaires, en dépit des protestations et suppliques des habitants de la ville.

" Le droit québécois, depuis les origines, a eu continuellement pour effet de mettre l'eau à la disposition d'intérêts particuliers. (…) Bref, les lois d'ordre public, qui sont censées, selon l'article 585 du Code civil, " régler la manière de jouir des choses qui n'appartiennent à personne et dont l'usage est commun à tous ", ont constamment eu pour fonction et effet, dans le cas de l'eau, d'interdire cet emploi collectif. "

Henri Brun, Histoire du droit québécois de l'eau 1663-1969, Étude réalisée pour la Commission d'étude des problèmes juridiques de l'eau. Gouvernement du Québec, novembre 1969.

Les intérêts commerciaux et industriels maritimes construisirent donc une barrière continue de quais privés, d'entrepôts et de chantiers maritimes à partir de la rivière Saint-Charles jusqu'au Cap Blanc. Les nombreuses critiques et pétitions populaires furent incapables de stopper ce processus d'appropriation commerciale privée des grèves et des rivages, demeurés jusque-là dans le domaine public.

À cette époque, contrairement à aujourd'hui, la Ville de Québec avait encore juridiction sur les grèves et places de débarquement et, pour s'assurer que le public en général ait libre accès au bord de l'eau, nommait un inspecteur des quais et des grèves et établissait des règlements quant à leur usage. Toutefois, les nombreux efforts de la Ville furent vains : vers les années 1830, tout le littoral urbain achevait d'être cadenassé et clôturé par des quais privés. Par conséquent, depuis maintenant près de deux siècles, il n'existe plus à Québec aucun accès public ni usage physique de l'eau du fleuve Saint-Laurent. Pourtant, des centaines de milliers de personnes habitent ou fréquentent les quartiers centraux de la Capitale, sans compter les millions de touristes qui visitent la ville.

TOUT USAGE RÉEL DU PATRIMOINE LIQUIDE URBAIN DE QUÉBEC - FLEUVE, BASSIN LOUISE, RIVIÈRE SAINT-CHARLES - RESTE INTERDIT À L'IMMENSE MAJORITÉ DE LA POPULATION AINSI QU'À DES MILLIONS DE TOURISTES

Comment est-il possible que depuis cent cinquante ans, des quartiers résidentiels pourtant situés à quelques mètres du fleuve aient vu grandir des dizaines de milliers d'enfants ou d'adolescents dont aucun, durant toute sa jeunesse et ensuite durant toute sa vie, n'a pu toucher légalement aux plans d'eau - fleuve, bassin ou rivière -, qui s'étendaient juste en contrebas de la maison de ses parents, cela même au milieu des grandes chaleurs de l'été ?

Également, comment a-t-on pu, depuis un siècle et demi, interdire en pratique tout contact physique avec les eaux du fleuve aux millions de visiteurs et de touristes qui ont séjourné dans le Vieux-Québec ? Durant la même période, de l'autre côté de l'Atlantique, de nombreuses villes littorales, telles Portsmouth (Angleterre) ont su préserver et développer leurs plages proprement urbaines - même quand elles n'offrent qu'un tapis de cailloux comme à Dieppe (France), de sorte qu'elles sont devenues des stations balnéaires et touristiques fort courues et extrêmement rentables économiquement.

Au contraire, dans le cas de Québec, comptabilisées sur les deux derniers siècles, les retombées sociales et économiques à jamais perdues suite à la destruction des grèves et plages urbaines sont à proprement parler incalculables.

"Le Vieux Port a coûté 130 millions de dollars aux citoyens et ils ont droit à plus qu'un simple trottoir pour la promenade le long du Saint-Laurent et du bassin Louise." Jean Garon, Député de Lévis (1988)

UN ESPACE PUBLIC À VALORISER : L'ACTUEL BASSIN LOUISE INTÉRIEUR

Prenons, par exemple, le cas de l'actuel bassin Louise. Jouxtant le quartier historique, ce plan d'eau magnifique n'en est pas moins formellement interdit au public. Il s'agit à la fois d'une anse fluviale et d'un lac urbain de bonnes dimensions, entièrement artificiel, aménagé par le gouvernement fédéral vers la fin du siècle dernier. À l'abri des marées, ce vaste plan d'eau donne accès à un panorama inégalé sur le Vieux-Québec, "sans doute la plus belle perspective urbaine en Amérique du nord", selon l'Américain Christopher Forbes, millionnaire américain, vice-président de FORBES Magazine.

L'endroit est public et constitue à la fois un patrimoine et un atout collectif et national, propriété pleine et entière de tous les citoyens, tout comme le parc des Champs de bataille. Étrangement, l'Administration portuaire de Québec en assume encore la gestion, même si les activités maritimes portuaires - qui étaient, elles, d'intérêt général - ont pratiquement déserté les lieux depuis plusieurs dizaines d'années. Depuis l'Été Mer et Monde (Québec '84), le bassin est surtout utilisé comme aire d'entreposage liquide pour des bateaux de plaisance par la Marina du Port de Québec, ceci en dépit d'un plan officiel du gouvernement fédéral de scinder en deux le plan d'eau, une partie étant destinée à l'usage public, l'autre devant être privatisée et devenir une marina (Conférence de presse, ministres fédéraux Pierre Bussières, Paul Cosgrove et Gilles Lamontagne, le 23 mars 1981).

L'endroit est entièrement entouré de quais forts hauts ou d'enrochements, ouvrages qui interdisent physiquement à des millions d'usagers potentiels de profiter de l'eau, laquelle est pourtant d'excellente qualité, y compris pour la baignade. L'usage et la jouissance du bassin Louise sont ainsi réservés exclusivement à quelques centaines d'embarcations ainsi qu'à leurs propriétaires. De plus, de vastes stationnements riverains - desservant en partie la même clientèle - monopolisent la plus grande partie de ses rives. Rappelons ici que la grande région de Québec compte plus de un demi million d'habitants, sans compter les millions de touristes qui viennent découvrir le Vieux-Québec.

Une installation planifiée pour ne répondre aux besoins que d'une catégorie fort étroite d'usagers - à la façon des marinas, par exemple -, ne répond pas aux critères économiques, lesquels prescrivent de répartir de la façon la plus efficace possible des ressources rares entre différents groupes concurrents d'usagers pour atteindre le maximum de rentabilité.

Société des Gens de Baignade, août 1998.

UN CLUB PRIVÉ SITUÉ NON SUR UNE RIVIÈRE À SAUMON, MAIS EN PLEIN CENTRE-VILLE DE QUÉBEC

À Québec, l'aménagement urbain comporte des particularités. C'est ainsi que durant l'été, si vous êtes une automobile, vous pouvez vous étaler toute la journée au soleil sur la grève d'un vaste plan d'eau situé en plein centre ville, et vous y faire dorer la carrosserie sans être dérangé. Si vous êtes un yacht ou un bateau de plaisance, vous bravez facilement la canicule, car vous jouissez des plaisirs du bain dans ce véritable lac en ville, sous les regards envieux de passants à demi rôtis par un soleil de plomb.

Vous n'avez des problèmes que si vous êtes un être humain. Il vous est alors formellement interdit de toucher à l'eau, où que ce soit, et cela par toutes les autorités compétentes, le tout après avoir collectivement consacré plus de 700 millions de dollars à la dépollution des eaux régionales. Inutile de chercher à qui la faute d'une telle situation: c'est la vôtre ! Vous n'aviez qu'à naître dans une fabrique de yachts ou dans un garage. Bref, à Québec, l'accès physique à tous les plans d'eau du centre ville est soigneusement cadenassé.

C'est pourquoi plusieurs aménagements inédits des quais et structures portuaires actuelles s'avèreront nécessaires pour rendre physiquement possible un retour à la symbiose qui a déjà existé entre la population de Québec, les touristes et le fleuve Saint-Laurent. Par exemple, un réaménagement graduel et réfléchi de l'actuel bassin Louise au profit du grand public améliorera durablement la qualité de vie de toute l'agglomération et, en premier lieu, celle des dizaines de milliers de résidants des quartiers centraux.

En prime, on créera une attraction touristique de première grandeur et une réalisation urbaine absolument d'avant-garde au niveau international. Enfin, le tableau d'ensemble témoignera éloquemment des progrès accomplis dans la dépollution du fleuve Saint-Laurent et du bien-fondé des milliards de dollars d'investissements publics déjà consentis ainsi qu'à venir.

"Décidons tous ensemble que dans la région de Québec, on veut avoir accès à nos plans d'eau, puis vous allez voir que vos élus vont suivre, parce que c'est ça que le monde veut. Plus la voix populaire va être forte, plus les politiciens vont comprendre."

Jean Garon, Député de Lévis, juin 1998.

Le bassin Louise représente une opportunité pour l'ensemble des Québécois de redéfinir les fonctions d'avenir souhaitables d'une partie de l'interface ville et port de leur Capitale nationale. Ce plan d'eau, situé au centre ville, offre un potentiel depuis trop longtemps sous-exploité et est susceptible de valorisations nouvelles. Par ailleurs, comme l'a bien souligné Jean-Paul L'Allier, alors Chef du parti du Rassemblement populaire et candidat à la Mairie de Québec : " Il importe d'envisager l'avenir du Vieux-Port en mettant de l'avant un concept d'aménagement qui renforce l'accès public au fleuve au lieu d'en faire un site réservé à une élite. " (Mémoire du R.P., présenté au Comité consultatif sur l'avenir de la Pointe-à-Carcy, 1989)

Dix ans plus tard et dans l'esprit du concept d'aménagement alors exprimé par l'actuel premier magistrat de la Ville, un réexamen fondamental de l'organisation de l'espace et de la gestion de la ressource en eau du bassin Louise intérieur est actuellement en cours à la Société des Gens de Baignade. Quand le concept de base d'une future station balnéaire publique et populaire à Québec sera rendu public - la Station balnéaire Jacques-Amyot -, tous et chacun pourront examiner le sérieux du projet, ses fondements historiques, sa faisabilité et enfin les options à privilégier pour une mise en valeur du plan d'eau qui serve des ambitions à la fois sociales, culturelles et économiques dignes de la Capitale des Québécois.

Cette recomposition fondamentale d'un domaine liquide public et stratégique situé entre Ville et Port est maintenant rendue nécessaire compte tenu des besoins urbains, des comportements, des goûts, des innovations techniques et du contexte socio-économique qui sont celles des Québécois à l'aube du vingt-et-unième siècle.

Société des Gens de Baignade, automne 1999