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Une plage en ville: l'histoire de la plage du Foulon

La plage de l'Anse-au-Foulon représente en quelque sorte un contre-exemple de la règle qui a prévalu dans l'aménagement des rives dans la région de Québec. Si les activités marchandes et portuaires ont occupé à peu près tout le littoral des environs de Québec, ce sont, dans le cas de l'Anse-au-Foulon, des travaux réalisés par le port de Québec qui sont à l'origine de la création de cette structure d'accès public au fleuve. En effet, le port entreprend, à partir de 1927, de gigantesques travaux dans cette anse de Sillery pour permettre au port d'accueillir les navires à fort tirant d'eau. Ces ouvrages d'empiètement sur le fleuve ont pour conséquence qu'une grande quantité de sable fin se dépose à l'ouest de l'anse. Les citoyens des environs - qui avaient déjà l'habitude de fréquenter les plages un peu plus à l'ouest - ont tôt fait de profiter des avantages, sur le plan récréatif, que leur offre cet " accident ". La plage devient vite un lieu de rendez-vous très fréquenté par les baigneurs et aussi par les pêcheurs. Moralité oblige, la ville de Sillery sent qu'il est de son devoir d'intervenir afin d'assurer le respect des bonnes mœurs sur cette plage qui se situe sur son territoire. Dès le 3 août 1931, le Conseil adopte le règlement 116 qui vient déterminer ce qui et, surtout, ce qui ne peut pas être fait sur cette plage. Voici le texte de ce règlement qui vise à " désensauvager " les pratiques balnéaires :

" À une assemblée du conseil municipal de St-Colomb de Sillery, tenue au lieu ordinaire, lundi le 3 août mil neuf cent trente et un, à huit heures du soir. Il est proposé par Mr. le conseiller Roger Gagnon, secondé par le conseiller Alphonse Gignac et résolu : Qu'il soit statué et ordonné par le règlement du conseil de la municipalité de St-Colomb de Sillery, et il est par le présent statué et ordonné comme suit:

Article 1. Aucune personne du sexe masculin agée de douze ans et plus ne se baignera dans les parties du fleuve Saint-Laurent comprises dans les limites de la municipalité de St-Colomb de Sillery sans être revêtue d'un costume de bain masculin, en un ou deux morceaux, couvrant le corps depuis les épaules jusqu'au bas de la fourche des jambes, avec une jupe rabattant par-dessus la culotte et descendant au moins quatre pouces en bas de la fourche des jambes.

Article 2. Aucune personne du sexe féminin agée de douze ans et plus ne se baignera aux endroits mentionnés dans l'article précédent sans être revêtue d'un costume de bain féminin, consistant en une culotte et une chemise, en un ou deux morceaux, couvrant le corps depuis les épaules jusqu'au bas de la fourhce des jambes, avec jaquettes ou jupes rabattant par-dessus la culotte, et descendant au moins quatre pouces en bas de la fourche des jambes. La chemise ou corsage ne devra pas être décollettée sur la poitrine de plus de quatre pouces, à partir de la base du cou, et l''chancrure autour des bras ne devra pas être plus d'un pouce et demi tout le tour de chacun des bras. Les costumes à double ouverture sous les bras sont défendus.

Article 3. Aucun enfant agé de moins de douze ans ne se baignera aux mêmes endroits sans être revêtu d'un habit de bain convenable et décent.

Article 4. Aucune personne agée de douze ans et plus ne sortira ni ne flânera, ni ne circulera à pied ou en auto en quelque endroit de la municipalité que ce soit, en costume de bain, sans être habillée, recouverte, ou revêtue d'un manteau, par-dessus, ou couverture boutonnée ou fermée jusqu'aux genous. Cependant les baigneurs habillés d'un costume de bain tel que décrit plus haut seront tolérés au sortir de l''au, sur les quais, et les grèves jusqu'à une distance de cinquante pieds du bord de l'eau où ils se baigneront.

Article 5. Il est défendu de se déshabiller avant le bain, ou de s'habiller après, à moins d'être à l'abri des regards des autres baigneurs ou personnes qui sont sur la grève ou dans les alentours.

Article 6. Toute personne qui a dans les endroits ci-haut mentionnés une attitude immodeste, ou tient un langage scandaleux, par des paroles licencieuses, sera considérée comme troublant la paix publique, et pourra être expulsée de la plage et passible des pénalités ci-après énumérées.

Article 7. Toute personne trouvée enfreignant l'un des articles du présent règlement sera passible d'une amende ne dépassant pas 20$ ou d'un emprisonnement n'excédant pas 10 jours. "

En période de crise économique et, donc, de chômage, la ville de Sillery décide de faire construire des cabanes pour accommoder les nombreux baigneurs qui fréquentent la plage. En 1933, c'est la Ligue de sécurité du Québec qui prend en charge la gestion de la plage . Photo avec logo de la ligue sur un des bateaux (APQ). Nous ne sommes donc pas en présence d'une occupation ad hoc de la plage par les baigneurs (comme c'est le cas aujourd'hui à Berthier-sur-mer ou à la grève Jolliet de Lévis), mais bel et bien à un équipement balnéaire reconnu comme tel et aménagé à cette fin.

À partir de 1952, la ville de Sillery devient elle-même gestionnaire de la plage. À cette occasion, elle amende le règlement 116 au moyen du règlement 429 dont l'énoncé de finalité (assurer la paix, l'ordre, le bon gouvernement, la salubrité et le bien-être général des gens qui utilisent la plage du Foulon ) témoigne à lui seul de l'ampleur des changements qu'a connus entre-temps la société québécoise. Un article du journal le Soleil paru en juillet 1962 réflète l'importance que les citoyens et le Conseil de ville accordaient à cet équipement récréatif et, en particulier, à son caractère public :

" Des travaux d'aménagement ont été exécutés à la petite plage de Sillery située en bordure du Chemin des Foulons. Conscient du privilège d'être la seule ville de la région à posséder sa plage publique, le conseil municipal a dépensé une somme de $3,000 pour l'embellissement de ces lieux mis à la disposition des citoyens. Déjà des tonnes de rocs qui étaient la cause de sérieux embarras pour les baigneurs ont littéralement disparu sous l'action des foreuses pour faire place à plus de 10,000 tonnes de sable qui ont été transportées à cet endroit. En outre, une clôture a été aménagée pour la sécurité des baigneurs gênés par la circulation des automobiles. Les amateurs de bateaux de plaisance qui affluent à cet endroit devront désormais quitter les lieux. Les autorités concernées entendent prendre les mesures qui s'imposent pour faire transporter les derniers voiliers, pour la plupart endommagés, qui gisent ici et là. Il en est ainsi pour les amateurs de " yachting " qui se servaient de la plage comme " rampe de lancement ". D'aucuns des baigneurs n'ont pas caché leurs (sic) mécontentement relativement à la circulation des automobiles, qualifiée de nuisance et des (sic) dangers pour les enfants. À cet effet, le maire Jules Beaulieu a déclaré que cette partie de terrain qui appartient à la Commission des ports nationaux est réservée par un acte de la législature comme parc pour la ville de Sillery. Cette plage est désormais réservée aux baigneurs. "

Notons ici les efforts qui sont faits pour donner la priorité aux utilisateurs majoritaires, les baigneurs, dont l'activité récréative ne nécessite pas d'investissements coûteux de leur part, l'achat d'un maillot de bain étant suffisant. Le problème avec les aménagements plagiques en général réside dans leur caractère réversible. Il suffit que la qualité de l'eau ne soit plus propice pour un temps à la baignade pour que les lieux soient investis d'équipements lourds, des quais par exemple, qui, eux, ne possèdent pas ce caractère de réversibilité. C'est ce qui arrivera avec la plage du Foulon. Mais jusqu'à la fin des années '60, la plage du Foulon demeurera un lieu de rassemblement très populaire comme en témoigne cet extrait d'un article du Soleil de 1968 :

" Quand il fait 91 degrés… (…) La plage de l'Anse aux Foulons regrogeait de monde. Un préposé à l'entrée estimait à 1,500 le nombre de personnes qui étaient venues s'ébattre dans l'eau, du matin jusqu'à la fin de l'après-midi. Partout s'étalait la chair cuivrée des estivants et des travaillants qui avaient prétexté certaines maladies pour ne pas étouffer à leur emploi. "

Un article paru quelques années plus tard (trouver la référence exacte) permet de se rendre compte de la dégradation de la qualité de l'eau du fleuve et des nouvelles questions qui sont posées par là :

" La plage Champlain de nouveau à la disposition du public mais les baignades restent interdites La plage Champlain, ex-plage de l'Anse-au-Foulon, est à la disposition du public québécois sinon en totalité du moins en partie, puisque Mme A. Jolin, locataire des lieux, a été autorisée à rouvrir la plage avant-hier alors que cette dernière avait été fermée au cours du mois de juin sur les ordres du ministère de la Santé du Québec pour cause de pollution de l'eau. Qui dit plage pense comme M. Larousse " Au bord de la mer, étendue plate couverte de sable ou de galets " (page 914 N.L.C.). À défaut de bord de mer, les bords du Saint-Laurent sont interdits au public, lui reste donc " l'étendue plate couverte de sable… " Le public en a pris timidement possession en cette fin de semaine de réouverture " autorisée ". Nous sommes allés rencontrer, sur les lieux mêmes, Mme Jolin. " Nous sommes ici sur un terrain appartenant à la Commission des ports nationaux, donc au fédéral. Mais c'est la province de Québec, par le truchement des bureaux de son ministère de la Santé qui a fait fermer la plage sous prétexte que l'eau était polluée. Les prélèvements d'eau, toujours par Québec, ont été faits à marée basse ce qui ne pouvait donner que le résultat que l'on sait, alors que des fonctionnaires du gouvernement fédéral sont venus et ont fait les prélèvements à marée haute. Nous attendons le résultat de l'analyse faite par les laboratoires du gouvernement fédéral. Pourquoi interdire que l'on se baigne à la Plage Champlain, la plus grande plage de Québec, alors qu'on laisse les gens se baigner ailleurs toujours au bord du Saint-Laurent et dans un rayon limité? (…) - Tant que l'interdit de se baigner sur cette plage ne sera pas levé, au cas où il arriverait un accident, qu'adviendrait-il? " Nous avons fait le nécessaire en indiquant par deux grands panneaux plantés sur la plage qu'il est interdit de se baigner. Nous avons un homme de plage qui surveille…mais il y a toujours des gens pour s'aventurer un peu dans l'eau. " Il ne reste qu'à espérer que cette grande plage naturelle à quelques minutes de Québec redevienne libre de tout interdit pour la plus grande joie de ses habitués "

Les habitués auront le temps de se déshabituer.

NOTES
1- Une résidente de Sillery témoigne des mœurs dans les années 20 : " Le dimanche, tout le monde était sur le quai (Frontenac, N.d.A.). Ceux qui voulaient se baigner allaient à la grève juste à côté. Un petit restaurant offrait des rafraîchissements. Beaucoup de gens de la ville venaient par les tramways. Ils descendaient à pleine rue dans la Côte de l'Église et se rendaient à pied sur la grève. Il y avait souvent des noyades. L'été, quand on entendait une sirène, c'était pour annoncer un drame au quai, pas un accident de voiture. L'automne, les hommes pêchaient l'éperlan sur le quai Frontenac et partout sur les vieux quais désaffectés " : propos de Mme Cécile Bouchard cités in Danielle Dion-McKinnon, Sillery, Boréal, Saint-Laurent, 1987, p.156.
2- Selon l'expression de Jean-Didier Urbain : Sur la plage, Petite Bibliothèque Payot, Paris, 1994
3- Procès-verbaux de l'hotel de ville de Sillery, séance du 3 août 1931, vol. 6 in Danielle Dion-McKinnon, Sillery, Boréal, Saint-Laurent, 1987, p.157-158
4- Danielle Dion McKinnon, Op. cit., p.158
5- Ibid., p.190
6- " Importants travaux à la plage de Sillery ", Le Soleil, 25 juillet 1962, p.17. La qualité de la photo qui accompagne cet article ne nous permet pas de la reproduire ici.
7- " Quand il fait 91 degrés… ", Le Soleil, 26 juillet 1968, p.16
8- " La plage Champlain de nouveau à la disposition du public mais les baignades restent interdites ", Le Soleil, juillet..