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Lettre au Maire de Québec

Québec, le 4 janvier 2001

À: Monsieur Jean-Paul L'ALLIER, Maire de Québec

 

CC:
Monsieur Lucien BOUCHARD Premier Ministre du Québec
Madame Agnès MALTAIS Députée de Taschereau et Ministre de la Culture
Monsieur Paul BÉGIN Député de Louis-Hébert et Ministre de l'Environnement
Madame Louise HAREL Députée de Hochelaga-Maisonneuve et Ministre des Affaires municipales
Monsieur Maxime ARSENEAU Député des Îles-de-la-Madeleine et Ministre du Tourisme
Monsieur Jacques BARIL Député d'Arthabaska et Ministre délégué aux Transports
Monsieur David COLLENETTE Ministre fédéral des Transports
Madame Christiane GAGNON Députée de Québec à Ottawa

 

OBJET : remise en question de l'option d'aménagement de la Ville de Québec en faveur de l'immobilier privé sur le rivage du bassin Louise.

Monsieur le Maire,

Dans un rapport récent, la Ville de Québec affirme: "Pour des raisons d'accessibilité publique, il est essentiel que la construction d'un hôtel soit privilégiée à la tête du bassin Louise, et non d'un édifice à bureaux comme l'envisage l'Administration du Port de Québec." [ ! ]

Cette affirmation nous paraît - à sa face même - invraisemblable. Elle figure pourtant dans un important rapport qui vient d'être soumis par votre Administration au gouvernement du Québec, dans le cadre d'audiences publiques tenues par la Commission de la Capitale nationale ayant pour thème: "Redonner le fleuve aux Québécois". Selon nous, la Ville de Québec défie le sens commun en prétendant que la construction d'un établissement hôtelier sur le rivage d'un plan d'eau urbain - occupant et privatisant un espace actuellement dégagé et public - favorisera de quelque façon que ce soit l'accès de la population au plan d'eau en question.

Bien au contraire, un tel bâtiment et une telle fonction hôtelière à la tête du bassin Louise nous semblent avoir comme motif réel de servir de "verrou immobilier" afin d'empêcher que quiconque - même des pouvoirs publics - ne forme un jour le projet de démocratiser l'accès à ce grand lac urbain, présentement interdit d'accès à la population.

Une volonté apparente de verrouiller pour des générations à venir l'utilisation privative actuelle du plan d'eau, en disposant pour cela de lourds bâtiments sur ses berges immédiates, nous semble également constituer le motif sous-jacent du zonage qui affecte un second espace riverain encore libre. Celui-là est situé lui aussi sur le rivage même du bassin, entre le Centre d'interprétation de Parcs-Canada et les condominiums "Les Quartiers de l'Académie". En effet, la Ville souhaite voir s'implanter à cet endroit…un édifice à bureaux !

La Ville planifie ainsi des édifices massifs sur le littoral, lesquels empêcheront la population d'utiliser le bassin, car on aura rendu impossible l'usage de ses rives. Malgré les millions investis, la population héritera du seul droit de déambuler sur un trottoir, la surface liquide lui demeurant à tout jamais inaccessible. Rappelons ici que ce grand lac urbain - quoique propriété publique - reste formellement interdit à l'immense majorité de la population, notamment celle de revenus modestes des quartiers centraux de la ville. Un club privé - exactement comme les anciens clubs privés de chasse et pêche - occupe ce domaine public exceptionnel. La jouissance paisible de l'élément liquide par une minorité est assurée par une force policière vigilante: on donne la chasse à quiconque ose toucher à l'eau, même aux jeunes pêcheurs à la ligne…

Explications demandées

1) En premier lieu, nous demandons à savoir en quoi exactement la construction d'un hôtel sur le rivage présentement dégagé à la tête du bassin Louise améliorera l'accès public au plan d'eau.

[Parenthèse. Nous n'ignorons pas que pour certains fonctionnaires de la Ville de Québec, des établissements hôteliers privés tels le Hilton, le Concorde ou encore le Château Frontenac équivalent à des espaces publics tels des parcs, vu qu'ils sont accessibles à toute la population. Il est en effet exact que n'importe qui peut aller se baigner dans la piscine en plein air de l'hôtel Hilton, même en février.

Nous suggérons cependant que la Ville approfondisse ce concept en l'appliquant non plus seulement à la tête du bassin Louise, mais également à la plage de l'actuelle Base de plein air de Sainte-Foy, bientôt Base de plein air de Québec. En effet, si le concept d'hôtel-équipement-public convient au rivage du bassin Louise, mutatis mutandis, il devrait convenir tout aussi bien à l'espace gazonné ou ensablé qui jouxte le plan d'eau de l'actuelle Base de plein air de Sainte-Foy. Il sera toutefois prudent de solliciter l'avis des usagers de la Base quant à la présence éventuelle d'un hôtel sur le rivage de ce plan d'eau. Fin de la parenthèse. ]

2) En second lieu, nous demandons que la Ville explique pourquoi, dans les plans joints au Rapport présenté au Gouvernement du Québec, elle indique que l'espace à la tête du bassin Louise ne fait pas partie des "Parcs ou espaces publics existants". Cela est faux. Contrairement à ce que montrent les plans, cette partie du rivage du plan d'eau est publique et appartient à tous les Canadiens et à tous les Québécois. Elle sert de stationnement, usage réversible s'il en est un.

Engagements antérieurs des autorités

Rappelons ici que le gouvernement fédéral - formé alors par le parti Libéral du Canada - a déjà promis de garder libre, pour l'usage de la population en général, l'espace situé à la tête du bassin Louise ainsi que le tiers du bassin Louise intérieur (23 mars 1981).

Quant à la Ville de Québec, son propre Comité exécutif - sous votre Présidence - a confirmé sans équivoque la vocation "d'espace vert" de la tête du bassin Louise, ceci dans un Communiqué en date du 25 mai 1992:

Ville de Québec - Bureau du Comité exécutif

Le 25 mai 1992

La Ville de Québec propose trois principes directeurs pour l'aménagement de la zone portuaire

Un espace vert à la tête du Bassin Louise

"Concrètement, ces trois principes directeurs amènent la Ville à confirmer les usages récréatifs actuels sur les abords nord-ouest du Bassin Louise. En raison du point de vue exceptionnel qu'elle offre sur la marina et sur la falaise, la tête du bassin Louise est quant à elle réservée, conformément au zonage actuel, à la fonction d'espace vert. Toutefois, la Ville y accepterait, pour une période temporaire, l'aménagement d'espaces de stationnement… - Quant à la possibilité d'y construire un ou des édifices à vocation institutionnelle, évoquée dans la proposition soumise à la consultation en décembre 1990 dans le cadre du plan d'action sur le quartier Saint-Roch, elle n'apparaît pas opportune pour la Ville." (p. 2)

Source: Richard Lacasse

 

Quand on voit la Ville affirmer aujourd'hui "qu'il est essentiel que la construction d'un hôtel soit privilégiée à la tête du bassin Louise", on se demande ce que vaut - auprès de vos fonctionnaires -, une prise de position pourtant claire et officielle du Comité exécutif …

3) En troisième lieu, nous voulons être fixés sur le statut actuel des trois "Principes directeurs" énoncés par le Comité exécutif de la Ville le 25 mai 1992. La population a droit à des explications claires et précises, à savoir : de quelle façon la construction d'un hôtel sur le bord de l'actuel bassin Louise ainsi que l'occupation d'une autre partie du rivage de ce bassin par un édifice à bureaux vont-ils contribuer à redonner le fleuve aux Québécois, notamment aux résidants d'aujourd'hui et de demain des quartiers centraux de la Capitale.

À ce propos, on aura intérêt à relire l'éditorial de M. Gilbert Lavoie dans le journal LE SOLEIL du 20 juillet 1995: rien n'a changé depuis sa publication.

En répondant à nos questions, la Ville gardera à l'esprit que dans l'avenir, il pourra s'avérer nécessaire d'accroître la superficie actuelle de ce lac urbain, compte tenu des usages que les Québécois voudront faire d'une telle ressource aquatique disponible au cœur même de leur Capitale. Son réaménagement dans une perspective d'intérêt public national entraînera en effet des usages populaires largement localisés sur ses rives, cela par plusieurs milliers de personnes à la fois, surtout en période estivale.

"Redonner le fleuve aux Québécois" (Ministre Paul Bégin)

Dans le cas du bassin Louise, il est peu probable que ce domaine public liquide, situé au cœur de la Capitale, reste indéfiniment interdit à la population ainsi qu'aux millions de touristes qui visitent Québec. Rappelons que le système de clubs privés de chasse et pêche installés sur des terres publiques a été aboli depuis plus de deux décennies par le gouvernement du Québec, et cela même en région. Alors, bétonner les privilèges d'un club privé nautique qui monopolise un lac public au centre-ville…

Qui plus est, il faut désormais tenir compte d'une volonté gouvernementale québécoise de "Redonner le fleuve aux Québécois" (ministre Paul Bégin). Dans ce cadre, le bassin Louise - idéalement situé - revêt désormais un intérêt national et non plus seulement local, à l'instar des rives du fleuve Saint-Laurent où intervient déjà la Commission de la Capitale nationale. L'interdire au public signifie en exclure sept millions de Québécois, 23 millions de Canadiens, sans parler de millions de touristes: pas très indiqué pour le développement social et touristique de la Capitale…

C'est pourquoi nous acheminons aussi le présent courrier à M. Lucien Bouchard, Premier ministre, à Mme Agnès Maltais, députée de Taschereau, à M. Paul Bégin, ministre responsable de la Capitale, à Madame Louise Harel, ministre des Affaires municipales, à M. Maxime Arseneau, ministre du Tourisme et à Madame Christiane Gagnon, députée de Québec à Ottawa.

Nous ajoutons à cette liste les ministres des Transports du Québec et du Canada, compte tenu que le bassin Louise intérieur appartient à la Couronne fédérale à titre d'équipement portuaire - aujourd'hui obsolète quant au chargement ou déchargement de marchandises ou de passagers. Il n'est plus utilisé que de façon tout à fait résiduelle pour des fonctions portuaires qui - elles - sont effectivement d'intérêt public.

Dans l'attente d'une réponse à chaque point abordé dans le présent courrier, nous demeurons, M. le Maire, vos tout dévoués quant à l'accès populaire, public et gratuit aux rivages et plans d'eau de la Capitale du Québec.

Original signé

Léonce NAUD, Président